Ma palette:

-Blanc de titane
-Jaune de cadmium
-Rouge de cadmium
-Vert Oxyde de chrome
-Bleu de Manganèse (ou de Cæruleum)
-Ocre jaune naturel
-Ocre rouge naturel
-Noir d'ivoire (ou de Mars)

Il faut aussi d'autres couleurs en particulier transparentes:

-Brun de Mars
-Brun oxyde transparent
-Rouge oxyde transparent
-Bleu Outremer ---
-Violet de cobalt
-Vert oxyde de chrome hydraté (dit émeraude) --- Sèche mal seul, jamais en épaisseur, mais bon en mélange.
-Laque garance (imitation) --- prendre la meilleure possible et seulement en glacis.
-Jaune transparent... Le Jaune Indien de chez Schmincke me donne satisfaction, mais ne pas utiliser en épaisseur.

La démarche:

En commençant à peindre je me suis posé la question de la conservation de la peinture, surtout avec la peinture à l'huile, qui à montré le meilleur et le pire en terme de conservation, Les problèmes historiques venaient souvent d'une "mauvaise" technique d'exécution, mais aussi des pigments proposés aux peintres. Exemples connus: l'utilisation de bitume responsable de craquelures massives, ou la fragilité à la lumière de roses se décolorant complètement.

A quoi bon s'efforcer d'utiliser des huiles et médiums de qualité, de respecter les règles de superposition des couches de peinture ("gras sur maigre") et les temps de séchage, si c'est pour être trahi par la couleur elle-même?

J'ai donc commencé par me référer aux connaissances classiques pour choisir des couleurs qui limitent au maximum les problèmes possibles, tout en couvrant mes besoins. La contrainte d'une palette réduite est compensée par la simplicité d'emploi de couleurs qui demandent peu de précautions d'usage.

Tradition

Chez Cenino Cenini (Le Livre de l'art ecrit vers l'an 1437) on trouve déjà ces préoccupations. Les bonnes et les mauvaises couleurs pour le peintre, et celles qui sont falsifiées par les fabricants... J'ai donc lu un certain nombre d'ouvrage, dont le classique La technique de la peinture à l'huile de Xavier DE LANGLAIS, qui donne une liste de pigments et de leurs qualités.

Il y a des pigments qui sont incompatibles entre eux, ou avec des additifs comme les siccatifs. Il y ceux qui sèchent lentement. et puis ceux à éviter carrément.

Les pigments primitifs, ocres et carbone sont a la base de la palette des peintres classiques.

Les couleurs des anciens souvent issues de minéraux semi-précieux très couteuses et pas exemptes de défauts sont logiquement abandonnées dés que possible.

Le XIXe siècle avec les progrès de la chimie apporte un renouveau, au travers de nombreux échecs. Des pigments de qualité sont reconnus issus de la chimie des métaux et minéraux, tandis que les débuts de la chimie organique aportent des déboires (aniline).

Modernité

D'un autre côté la lecture des dépliants des fabricants de couleurs laisserait penser que toutes les couleurs modernes qu'ils proposent frisent la perfection. Pourtant, sans être radicalement traditionaliste, je crois que le changement, ici, doit être considéré avec prudence. Notez bien que les couleurs que j'ai cité ne sont pas les couleurs minérales des anciens (sauf les ocres), mais des pigments issus des progrès de la chimie au XIXe siècle, donc modernes. Seulement ces pigments mêmes n'ayant plus d'usage en dehors de la peinture, ils deviennent rares, chers, et les fabricants tendent à les remplacer et à proposer des substituts.

Il y a une fracture entre les connaissances traditionnelles et la vision scientifique moderne. Depuis 150 ans, la recherche, l'innovation et la production dans le domaine des couleurs, colorants, pigments est entièrement le fait de l'industrie: teinture, colorants pour plastiques, peintures pour carrosseries de voitures et bâtiment, et les beaux arts représentent peu par rapport à cela. Depuis 150 ans les artistes reçoivent les retombées de recherches qui n'ont pas été faites pour eux, avec des bons et des mauvais résultats. Les couleurs issues de la chimie organique peuvent donner de bons colorants et teintures mais n'ont pas les qualités intrinsèques de pigments solides.

Séchage et siccativité

Je vais surtout parler du séchage des couleurs, or il existe une double incompréhension sur l'utilisation du terme "siccatif" ou "siccativité". D'une part les spécialistes considèrent la siccativité comme une action chimique précise sur un plan "théorique". D'autre part ce pouvoir siccatif est considéré comme potentiellement nocif.

Ce qui m'intéresse c'est de savoir comment se comporte une couleur au séchage. Peu m'importe que le pigment soit un "siccatif" ou pas, si le mélange pigment/huile se transforme en une matière dure, dans l'épaisseur, et sans craqueler dans un temps raisonnable, cela me parait une bonne base.

Il faut se rappeler que c'est l'huile (de lin) qui, quand on dit qu'elle sèche, polymérise à l'air comme un vernis ou un polymère moderne. Mais son comportement est complétement modifié par la présence du pigment qui agit d'une part mécaniquement en tant que charge (formation d'une pâte), et d'autre part modifie visiblement la durée et la qualité du séchage.

Une des propriétés les plus importantes des pigments à ce titre est peut-être leur affinité pour l'huile, c'est à dire la quantité d'huile qui sera nécessaire durant le broyage pour faire la pâte de couleur. L'excès d'huile engendrant des problèmes (lenteur et plissage au séchage).

Mes tests

échantillons
Cliquez pour la photo pleine résolution. Attention gros fichier 2Mo

J'ai voulu faire mes propres test, sur les couleurs que j'utilisais. J'ai commencé il y a dix ans à déposer des échantillons de peinture sur une toile, en notant la composition, avec ou sans ajout de médium et siccatif. Le test le plus discriminant est d'écraser sur la toile une noix de couleur juste sortie du tube avec un couteau à peindre. On obtient à la fois un empâtement et une zone de peinture fine qu'on peut même finir détaler en frottis. La toile a ensuite été exposée au soleil derrière une fenêtre pendant les premières années pour créer des conditions extrêmes. C'était très instructif. Maintenant je ne teste plus que le séchage en condition "normale".

J'ai utilisé des tubes de toutes les marques possibles, sans noter de différences de résultat entre les marques. Certaines se distinguent par une consistance plus ou moins ferme de la pâte de couleur fraiche, des teintes différentes, concentration, l'utilisation de différentes huiles. Mais en fin de compte, le facteur le plus déterminant m'a semblé être le pigment employé.

Exemples: Un rouge de cadmium qu'il soit Lefranc-Bourgeois, Schmincke, Sennelier ou Van Gogh, sèche un peu lentement, en fonçant légèrement, mais reste parfait après ça. Au contraire un bleu Outremer qu'il soit Schmincke, Sennelier ou Old Holland, sèche de manière irrégulière dans les empâtements, craquelle facilement, peut poisser ou avoir cette fameuse maladie de l'outremer qui le fait griser...

La procédure peut paraitre peu scientifique... Pourtant elle est proche des conditions réelles d'utilisation, et surtout ses résultats sont sans appel:

Certaines peintures (l'association d'un pigment et d'une huile de qualité, de lin de préférence, sans distinction de marque) sèchent vite (avec un bel aspect), deviennent dures et ne craquent pas. Même dans ces mauvaises conditions (épaisseurs et exposition au soleil) et sans addition de médium. Rajoutons que ces pigments peuvent se mélanger et qu'ils ne se décolorent pas à la lumière, C'est le premier groupe.

Blanc de titane ---
Jaune de cadmium
Rouge de cadmium
Vert Oxyde de chrome
Bleu de Manganèse (ou Céruléum)
Ocre jaune naturel
Ocre rouge naturel
Noir d'ivoire

Je ne vois aucune raisons de chercher à remplacer ces couleurs par des substituts récents qui seront eux-mêmes remplacés dans dix ans.

Le deuxième groupe souffre de défauts variables qui en rendent l'utilisation plus contraignante:

Brun de Mars
Brun oxyde transparent
Rouge oxyde transparent
Bleu Outremer
Violet de cobalt
Vert oxyde de chrome hydraté (dit émeraude)

Commentaires

Le Vert émeraude, échoue lamentablement aux tests. Pourtant je ne peux remplacer cette couleur par les imitations a base de phtalocyanines qui manquent de transparence, sont trop claires ou apportent une teinte désagréable, surtout dans les mélanges. Pour compenser, le vert émeraude se comporte bien en mélange, et est solide à la lumière.

Même chose pour l'Outremer. Le bleu de phtalocyanine assez sombre, vif et transparent pour remplacer l'Outremer, a des nuances qui me déplaisent et en particulier en mélange.

Grosse déception pour le Bleu de cobalt que j'affectionnais mais qui sèche irrégulièrement avec un mauvais aspect. Ce n'est pas une couleur indispensable pour moi. Le violet de cobalt qui n'est pas exempt de défauts de séchage est par contre plus utile dans ma palette.

La terre verte de Vérone, tellement jolie (et poétique) sèche déplorablement et reste indéfiniment tendre et fragile. Elle n'a pas les qualités des ocres naturels. Elle est facilement remplacée par un mélange d'ocre et de vert oxyde de chrome par exemple. Je l'ai supprimée de ma liste.

Les couleurs de Mars (oxydes de fer synthétiques) qui tendent à remplacer les ocres et apportent de nouvelles subtilités dans cette gamme sont souvent bien inférieurs aux ocres naturels en terme de séchage (et d'aspect). Que la cause soit dans le broyage, la proportion d'huile ou la pureté du pigment synthétique (les pigments naturels ne sont pas purs...).

Le noir d'ivoire : les noirs ont eu une réputation douteuse, de favoriser les craquelures. Peut-être était-ce lié à l'association au bitume, ou à la mauvaise qualité du pigment noir préparé par calcination et contenant des résidus de goudrons... Le savoir-faire de fabricants semble s'exprimer ici avec des noirs d'ivoire qui sèchent parfaitement, et mieux que le noir de mars qui prend une apparence matte et triste.

Le blanc de Zinc employé seul montre sa très forte tendance à craqueler.

La laque de garance ou les imitations qui sont également fragiles à la lumière ne doivent pas être mélangées avec des couleurs opaques (blanc par exemple) car cela décuple l'effet de la décoloration.

garance
Exemple de Laque de garance (imitation) dont la moitié gauche a été protégée de la lumière et la droite exposée au soleil pendant plus d'un an. Le partie les plus fines semblent s'être évaporées.

Conclusion:

Chacun doit composer sa palette comme il l'entend. Certains plus coloristes que moi vont avoir l'utilité d'une gamme de 200 couleurs en tube. Pour moi, c'est le contraire: j'aime utiliser un petit nombre de couleurs familières. Le comportement en mélange et en transparence de chaque pigment est particulier, et c'est sa connaissance qui me permet un geste spontané, c'est pourquoi je m'accommode d'une palette limitée.

L'aspect "conservation" n'est qu'une condition préalable. Mais le fait de savoir que les couleurs utilisées dans l'ébauche auront un comportement idéal est un confort indéniable.

Quel que soient vos choix, retenez que chaque couleur a un comportement particulier selon son procédé de fabrication et le pigment qui la compose et qu'il faut l'apprivoiser.

Références:

Il libro dell'arte Cennino Cennini, circa 1437 ( Editions Berger-Levrault, Paris,

La Technique de la peinture à l'huile. Histoire du procédé à l'huile, de Van Eyck à nos jours ; X. De LAnglais, Flammarion, 1959.

Les instruments de la création, kurt Herberts, Hachette, 1961.

Mémento pratique de l'artiste peintre , André Béguin, Paris, 1979.

Le métier du peintre - Abrégé d'atelier , Pierre Garcia, Dessain et Tolra, 1990.

les matériaux de la couleur , F.Delamare et B.Guineau, Découvertes Gallimard, 1999.

Dictionnaire des matériaux du peintre , Pierre Garcia, Belin, 2005.

Et une foule d'informations excellentes sur le site Dotapea.com